Eh, vous savez quoi ? J'ai vu un film très intéressant il y a deux semaines. Ca se passe dans le même espace pendant quatre-vingt dix minutes, et il n'y a que deux acteurs pendant tout le film, un homme et une femme. Non, je ne parle pas de Gravity, mais du dernier film de Roman Polanski, intitulé La vénus à la fourrure. Un huis-clos drôle et hypnotisant, mais assez inégal.
On le sait : Polanski est passé maître dans l'art du huis-clos. De Répulsion à Carnage en passant par La Jeune Fille et la mort, le réalisateur a eu le temps d'explorer toutes les facettes du registre. C'est peut-être pour cette raison que tout semble si simple et fluide dans La vénus à la fourrure : comme si Polanski était sûr de tous ses choix artistiques, et qu'il ne rencontrait aucune difficulté, ni pendant l'écriture, ni pendant le tournage. Le programme du film marche comme sur des roulettes, les ruptures tombent à point, les acteurs campent leur rôle avec rigueur... C'est à la fois une qualité et un défaut du film : tout est trop appliqué, trop sûr. Même la dernière partie, censée être délirante et perverse, sonne un peu faux.
Le sujet
Le générique nous promène le long d'une allée parisienne, avant de nous faire entrer dans un théâtre de quartier où Thomas (Mathieu Amalric), seul sur scène, fume une cigarette et discute avec sa femme au téléphone. Il a écrit une pièce, La vénus à la fourrure, adaptée d'un roman Autrichien, et veut la mettre en scène. Il a passé sa journée à auditionner des actrices pour trouver l'interprète idéale de Wanda, le personnage principal. Seul problème, le rôle est très complexe : Vanda est une femme en apparence sage et innocente, mais qui se révèle de plus en plus perverse au fil du roman.
Pour jouer ce rôle, il faut donc une actrice à la fois intelligente, expérimentée et séduisante. On comprend, à travers la conversation téléphonique de Thomas, qu'aucune des actrices auditionnées pendant la journée n'était à la hauteur. Agacé, et épuisé, il rajoute : "Il y en a même une qui portait un appareil dentaire". Au moment où il raccroche, une femme entre dans le théâtre. Elle veut participer aux auditions, mais elle a une demi-heure de retard, sa tenue est peu distinguée, et visiblement, il lui manque quelques neurones. Elle ne connaît rien à la pièce, à part que c'est un "machin porno". Elle passe son temps à mâcher un chewing-gum et crie plutôt qu'elle ne parle. Bref, la cerise sur le gâteau. Seul point positif : elle s'appelle Vanda, comme l'héroïne de la pièce.
Thomas, perplexe, consent à l'auditionner trois minutes. A ce moment, c'est la stupéfaction, autant pour Thomas que pour le spectateur : non seulement, Vanda incarne magnifiquement son personnage, mais en plus, elle est bien plus préparée que ce qu'elle avait prétendu.
Verdict ?
La Vénus à la fourrure est avant tout un jeu. Comme Nolan s'amuse à emboîter les rêves dans Inception, Polanski s'amuse à emboîter les niveaux de lecture, la réalité et le théâtre, avec une telle virtuosité que le spectateur finit par avoir le tournis. Pour comprendre l'enjeu du film, il convient d'abord d'expliquer le contexte.
Il y a trois "Vénus à la fourrure". Le premier est un roman, écrit en 1870 par Léopold Von Sacher-Masoch, un auteur Autrichien, qui a donné son nom au masochisme (tout un programme !). Le second est une pièce de théâtre récente écrite par David Ives, qui est adaptée du roman. Cette pièce a été jouée à Cannes, et Polanski a assisté à une des représentations alors qu'il était sur la croisette pour défendre The Ghost Writer. Fasciné, il décide d'adapter la pièce en film.
Mais alors, de quoi parle le roman de Sacher-Masoch ? Disons que, en caricaturant un peu, le roman pose les bases de l'amour Masochiste. Séverin tombe amoureux de Wanda, une jeune veuve, qui revendique haut et fort son amour du plaisir, et son dégoût pour la morale. Pour s'assurer de pouvoir rester avec elle, il signe un contrat : durant un an, il sera son esclave, son jouet. Elle pourra disposer de lui comme elle le souhaite. En échange, elle s'engage à porter une fourrure, la fourrure qui fait fantasmer Séverin.
Tout est affaire de jeux de rôles. C'est ainsi que l'on pourrait décrire le film de Polanski. Wanda (l'actrice écervelée) est-elle vraiment greluche ou fait-elle semblant ? Et Thomas est-il l'homme solide et talentueux qu'il prétend être, ou bien est-ce juste une parade ? Déjà, dans Carnage, on voyait le vernis de la bonne société partir en fumée, mais le film n'était pas assez abouti. La vénus à la Fourrure, c'est un peu Carnage en plus drôle et en plus hypnotisant. Les masques tombent, les vraies personnalités se révèlent.
Comme je l'ai dit plus haut, le film se déroule en huis-clos. Deux acteurs uniquement, un théâtre, pour une seule séquence qui s'étire sur près de cent minutes. Déjà, on peut saluer la maîtrise du réalisateur, qui, à quatre-vingt ans, est toujours aussi doué. Il arrive à captiver le spectateur alors que son film se déroule en temps réel. A part quelques temps morts et une fin qui s'étire un peu inutilement, on ne s'ennuie pas du tout. Il faut dire que les acteurs s'en donnent à coeur joie, aidés par des dialogues très réussis et jubilatoires.
Toute la saveur du film vient de l'intrigue : plus l'audition s'étire, plus les deux personnages sont contaminés par l'esprit du roman. Wanda (l'actrice) devient la vraie Wanda, et assoit peu à peu son emprise sur le metteur en scène, en le forçant à changer certains passages de sa pièce, en le complimentant ou en l'humiliant. Thomas, lui, fasciné par son actrice comme Séverin est fasciné par la veuve, est prêt à tout pour la retenir dans le théâtre, afin que l'audition se prolonge. Devient-il son esclave pour de vrai ?
Pour apprécier le film, il faut suivre sans arrêt les deux niveaux de lecture qui se jouent sous nos yeux. Il faut différencier ce qui fait partie du jeu théâtral, et ce qui est vrai. Ou bien il faut reconnaître que les deux niveaux de lecture sont mêlés et ne forment plus qu'un.
Bien que le film soit une réussite, on peut lui trouver quelques (gros) défauts : d'abord, on sent que Polanski ne sait pas comment terminer son film. Même si la phrase de fin est très drôle, les dix dernières minutes pédalent dans la semoule. Ensuite, quand on voit que les deux acteurs sont Mathieu Amalric et Emmanuelle Seigner, on était en droit d'attendre une prestation encore meilleure. Certes, ils sont excellents, mais un peu scolaires. Enfin, même si le film provoque un plaisir immédiat de cinéma, il ne marque pas le spectateur très longtemps après le visionnage. D'habitude, Polanski arrive à nous tarauder davantage.
Pour finir sur une note positive, soulignons que, comme d'habitude, Roman Polanski fait attention à tous les arts et métiers du cinéma : la musique de Desplat est formidable, l'éclairage travaillé, le montage fluide, et les dialogues émerveilleront jusqu'aux inconditionnels de Tarantino.
En bref
Comment ne pas aimer un film qui nous explique que les femmes sont des vipères sous leurs allures de colombes ? Plus sérieusement, on passe un excellent moment devant ce bon cru de l'année.
En plus d'être très productif, Roman Polanski est un modèle d'inspiration artistique, puisque quarante-sept ans après le Bal des Vampires, il continue à réjouir les cinéphiles de tous poils. Chapeau, l'artiste !