Overdose de violet et de rouge sur l'affiche française du film Her, une "love story" qui se déroule dans un futur proche, et qui a ceci de particulier qu'elle se passe entre un homme banal... et son ordinateur. Ou plus précisément, son operating system, c'est à dire une intelligence artificielle qui, si l'on en croit les scénaristes, nous aidera dans le futur à organiser autant notre agenda professionnel que nos tâches du quotidien. Vous allez me dire : un film avec un pitch pareil et des têtes d'affiches pareilles, ça vaut le coup d'oeil. Ensuite, en apprenant qu'il est écrit et réalisé par Spike Jonze, le metteur en scène déjanté de Being John Malkovich, et que le film sort en France auréolé d'un Oscar du meilleur scénario original, vous en rajouterez une louche : "Enfin, yoyo114, avec autant de bons signaux, ça ne peut qu'être une valeur sûre !!". Et là je vous réponds, tel Frederik dans Inglourious Basterds : en temps normal, vous auriez raison... Mais ça ne marche pas à tous les coups ! Retour sur une déception.
Note : Toute ressemblance avec les critiques d'un certain Hunter Arrow (que ce soit dans le style, le ton employé ou la police d'écriture) ne serait que purement fortuite et indépendante de ma volonté.
Tu croyais vraiment que c'était un chef d'oeuvre ? Haha !
Dans les premières minutes du film, le réalisateur brosse le portrait de Theodore Twombly, un homme solitaire et rêveur qui vit dans un Los Angeles futuriste. Premier bon point : pour une fois, le mot anticipation ne rime pas avec apocalypse, système totalitaire ou encore soucoupes volantes à tous les carrefours. Notons que la ville futuriste du film a été créée en mélangeant des images de Los Angeles et de Shanghaï, ce qui donne un univers franchement réussi, à la fois grisâtre et très harmonieux. Quant aux intérieurs, ils se caractérisent par un design très épuré, un peu comme si, dans le futur, on vivait tous dans une chambre d'hôtel Ibis. Mais ce n'est pas incohérent, puisque, aujourd'hui, les marques d'électro-ménager rivalisent d'idées pour créer des designs plus harmonieux que ceux de leurs concurrents.
La partie d'exposition est assez efficace : en quelques minutes, on en apprend assez sur Theodore pour comprendre son caractère. En bref, il se remet mal d'une rupture difficile, il se console (affectivement et sexuellement) en jouant au téléphone rose avec des inconnues aux fantasmes parfois... insolites. Il a bientôt quarante ans, il est un peu timide, et il ne sait plus trop quoi faire de son existence. Bref, c'est typiquement l'homme qui peut tomber amoureux de sa voix d'ordinateur.
Los Angeles, dans quelques décennies.
A peine cette introduction terminée, voici que l'argument du film se met en route : Theodore achète le nouveau gadget à la mode, un operating system qui vous aide dans votre vie de tous les jours. Après avoir répondu à un très succint test de personnalité, voilà que son ordinateur installe une mise à jour et que, soudain, une douce voix féminine apparaît dans sa chambre. C'est la voix de Scarlett !
UN LECTEUR : Mais, monsieur Yoyo, vous avez commis une erreur ! Une voix, ça n'apparaît pas ! C'est un non-sens.
YOYO114 : Oui, sauf qu'il s'agit de Scarlett et que sa voix suffit à lui donner une présence physique.
Mon début de critique était censé vous faire comprendre la chose suivante : en dix minutes, Spike Jonze a rempli son boulot de scénariste et de metteur en scène. Il a fait pénétrer le spectateur dans un univers de fiction, il a présenté le protagoniste et a enclenché l'élément perturbateur : une rencontre insolite, avec ce qu'elle comporte d'unique et d'intrigant. Certes, c'est une mise en place classique, mais on doit reconnaître qu'elle est faite avec intelligence et sobriété. Maintenant, il s'agit de rentrer dans le coeur de l'oeuvre. Il s'agit de faire interagir ces êtres séparés par une barrière infranchissable : la barrière entre le monde physique et le monde informatique. It's up to you, guys ! Et c'est là que tout coince.
Dans la continuité du film, il y a quelques bonnes idées. D'abord, il y a Samantha, cette intelligence artificielle qui veut tout découvrir sur le monde des humains. A ses débuts, elle est naïve et peu développée, même si elle prend déjà quelques initiatives : par exemple, c'est elle qui choisit son prénom. Puis elle prend conscience de toutes ses capacités, et parvient à s'émanciper, jusqu'à atteindre des niveaux d'abstraction que Theodore n'arrive pas à suivre.
On a là une métaphore (assez "gros sabots", au passage) de deux amoureux qui s'aiment d'abord parce qu'ils se ressemblent, puis finissent par prendre des trajectoires opposées. Le fameux "C'est moi que j'aime en toi". A ce propos, je vous conseille la nouvelle de Dostoïevski, les Nuits Blanches, qui raconte à peu près la même histoire : un couple qui s'aime par dépit, par bienveillance, mais pas par réelle passion. Petite anecdote : cette nouvelle a été adapté au cinéma il y a quelques années sous le titre Two lovers, avec, dans le rôle-titre : Joaquin Phoenix !! J'en profite pour faire une transition flamboyante et saluer la prestation de l'acteur, qui est de tous les plans dans Her, et joue admirablement bien. Plus sobre que d'habitude, il nous fait croire de bout en bout en cette histoire improbable et je pense que, sans lui, le film aurait été un naufrage.
N'exagérons rien : je reste un acteur comme les autres.
Mais voilà le problème : hormis l'argument de départ très inventif et une belle histoire d'amour impossible, on a quand même là un film qui dure deux heures et qui manque affreusement de rebondissements. On se demande d'ailleurs à quoi pensait le jury en lui attribuant l'oscar du scénario, alors qu'on pouvait par ailleurs récompenser le film sur sa mise en scène, où même donner une statuette à Joaquin !
Note à l'ACADEMIE DES OSCARS :
Le terme "scénario original" n'implique en aucun cas qu'il faut récompenser un film parce qu'il a un pitch de départ insolite. Le mot "Original" est utilisé pour différencier les scripts tout à fait nouveaux, des scripts adaptés d'une oeuvre précédente (livre, bande-dessinée ou même jeux-vidéos).
Et comment remplit-on un film dont le noyau tient sur 80 minutes pour lui faire atteindre la durée tant convoitée de "120 minutes !!" ? Rien de plus simple : on remplit le film de passages bien philosophiques où les personnages méditent sur la vie, la mort, la vie en couple, le divorce, les chats, les chiens, le corps et l'absence de corps, et aussi des choses profondes comme la sodomie par les épaules (authentique). Moi, je suis plutôt de l'école : il faut épurer son oeuvre pour n'en retenir que l'essentiel et le plus pertinent. Un peu comme Flaubert retravaillait parfois quinze lignes de Madame Bovary pendant plus d'un mois ! Je précise cela pour être bien clair : ce n'est pas la lenteur du film qui me gêne (j'ai moi-même de très bons amis qui sont lents), mais son inconsistance.
Mais admettons que j'aie tort et qu'un film avec de longues digressions sur des sujets philosophiques puisse être un grand film. Pitié, Spike, propose-nous autre chose que cette tambouille d'idées et de clichés sur la quarantaine ! Parce qu'il ne faut pas se voiler la face : sous couvert d'un film de science-fiction échevelé et universel, Her est un film désenchanté sur la crise de la quarantaine. Et je n'ai pas quarante-ans, j'en ai dix-huit, ce qui peut expliquer mon profond ennui lors des scènes de digression qui parsèment le film. Voici un exemple très parlant :
Her - EXTRAIT VOST "Une histoire qu'on raconte"
Extrait vidéo Her - Her, un film de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson.
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19543370&cfilm=206799.html
Notez la petite mélodie au piano derrière et la voix languide de Scarlett. Mal utilisé, c'est ce que l'on appelle de la mièvrerie
Mais comme je l'ai dit : Her, ce n'est pas que ça. Il y a d'excellents passages, malheureusement noyés dans ces considérations d'homme mûr pendant lesquelles je me suis fait chier comme rarement dans une salle de cinéma. Il y a notamment un dénouement que je ne vous révèlerai pas, mais qui est quand même très audacieux et pose des questions intéressantes sur le rapport de l'homme à la technologie. Quant à la scène qui clôt cette histoire d'amour insolite, elle est quand même assez bouleversante.
Bon, malheureusement, la toute dernière minute est assez pénible avec sa morale sous-jacente : "mettez-vous en couple avec votre meilleure amie plutôt que de risquer une liaison éphémère.". C'est le problème récurrent du film : il y a un mélange entre un travail très audacieux sur la science-fiction et des idées trop simplistes qui plombent le rythme. Quant à la réflexion sur la solitude de l'homme du futur, elle est un peu racoleuse. Grossièrement, on pourrait résumer le propos politique du film à cette phrase : "dans le futur, la connexion, au lieu de nous rapprocher, va nous éloigner les uns des autres et nous vivrons tous dans une petite bulle en traînant notre misère sexuelle comme un fardeau". Chouette programme. C'est très déprimant, et en plus, ça n'est pas très original. Heureusement, l'humanité des acteurs et la délicatesse du film emportent de justesse l'adhésion.
On a là un film avec beaucoup de potentiel, qui a parfois le courage d'aller au bout de ses réflexions (notamment sur "comment faire l'amour à un ordinateur), mais qui pêche par un scénario brouillon et des idées simplistes. C'est le type d'oeuvre qui a été faite avec sincérité, mais qui n'a pas été suffisamment travaillée, comme si on nous livrait un premier jet d'une oeuvre future plus aboutie et moins lénifiante. Difficile de comprendre le succès de ce film, pas désagréable, mais largement oubliable. Enfin, petit conseil aux cinéastes indépendants : ne vous forcez pas à faire un film de deux Her !
(Mouahahaha)