Un film de Alejandro Gonzàlez Iñarritu avec Michael Keaton, Emma Stone, Naomie Watts, Edward Norton, Zack Galifianakis, Andrea Riseborough, Lindsay Duncan.
Oui cette critique intervient très tardivement pour plusieurs raisons : la première, le film a lui même été projeté tardivement par chez moi. L'autre raison étant qu'un emploi du temps personnel très chargé m'a empêché de me mettre plus tôt sur cette critique. Mais il me fallait quand même prendre le temps pour rédiger cet article afin de rendre le digne hommage à ce qui fût ni plus ni moins ma première grosse claque cinématographique de l'année 2015.
Pourtant à la base ce n'était point une bataille remportée d'avance pour le long métrage de Alejandro Gonzàlez Iñarritu. Déjà parce que la filmographie du bonhomme m'en a toujours touché une sans bouger l'autre. J'ai relativement apprécié Babel sans non plus être marqué par celui ci. 21 Grammes, j'ai pas aimé et je n'ai jamais cherché à voir plus de films du garçon... Oui vous avez le droit de me lancer des pierres. L'autre point qui suscitait ma méfiance à l'encontre de ce Birdman c'est que, tout comme le fut mon confrère Yoyo avec Mommy, j'étais suspicieux quant au relatif consensus fait autour de cette oeuvre. Qu'il en soit des Oscars, des critiques, des spectateurs, de Joe Le Clodo, de ma boulangère mal fagotée, tout le monde s'accordait pour saluer la maestria technique que représentait ce film avec sa mise en scène tout en "faux" plan séquence...Et la plupart étaient tout aussi séduits par la critique acerbe formulée contre le système hollywoodien actuel apparemment très présente ici.
Et là vienne mes deux craintes, la première portant sur la mise en scène : est ce que cette dernière est réellement là pour porter et soutenir le propos où n'est ce qu'un tour de force technique agissant en diversion sur l'attention du spectateur et ne livrant que de la poudre aux yeux dans le pire des cas et dans le meilleur, un simple artifice un peu vain. Qui plus est le plan séquence peut avoir aussi ses désavantages en terme de construction rythmique mais cela j'y reviendrai plus tard. L'autre point de méfiance était quant à son propos : était il vraiment pertinent ou se contentait il d'enfoncer des portes déjà grandes ouvertes sur le système Hollywoodien ?
Mais ce n'est que face au film que l'on peut juger celui-ci finalement et je dois reconnaitre que très vite, Birdman est parvenu à apaiser mes craintes, le film de Iñarritu faisant preuve d'une intelligence remarquable dans sa construction et par là même d'une grande pertinence dans ses choix artistiques, ces choix étant eux même portés par une maitrise totale... En bref et en clair, ça démonte sévère.
Tout ici semble être au diapason afin de créer le film le plus presque parfait qui soit possible de réaliser. Je sais vu comme ça je semble dithyrambique, mais je dois reconnaitre qu'il m'est difficile d'en être autrement quand après deux heures je me rend compte que je viens de me prendre une claque monumentale, voir une leçon de cinéma et pas que sur le plan technique.
Bien sur la maitrise indéniable de cette dernière joue beaucoup mais plus encore que ce fait, c'est l'intelligence de l'utilisation du plan séquence qui à mon sens mérite nombreuses et fastueuses louanges. En effet l'idée principale de Birdman c'est cette annihilation des frontières qu'il peut y avoir entre la réalité, le cinéma, l'imaginaire, le théâtre... Ainsi ces différentes "dimensions" s'enchainent sans jamais être préalablement marquées par un gimmick visuel. Bien sur lorsque l'on voit Keaton user de télékinésie, on comprend que nous sommes dans son imaginaire, mais ce qui est génial là dedans ce sont les retours à la "réalité" du film. Tout cette suppression des frontières entre les médias participent à cette impression latente d'un chaos continuel, ce qui reflète plutôt bien les méandres de l'esprit du personnage principal.
Mais Iñarritu ne se contente pas d'aller dans tout les sens et ainsi ce chaos, bien qu'il soit continuellement présent, ne vire pas non plus au bordel ambiant qui se contenterait d'aller partout pour arriver nul part. Tels un bon batteur, il gère à merveille son tempo, ne sombrant pas dans une cacophonie inaudible. Et là j'en reviens au plan séquence. En effet ce qui est assez difficile avec cet exercice, en plus des contraintes techniques qu'il impose, c'est aussi sa manière d'influer sur le rythme d'un long métrage. Prenez l'exemple d'Elephant de Gus Van Sant... Ce film est chiant. Alors attention ce n'est pas une critique et je sais qu'il y a une intention derrière cet ennui. Mais les faits sont là, le film est globalement chiant, la faute à ses nombreux plans séquences montrant des élèves traversant des couloirs. Et rien que dans ces scènes on comprend tout de suite mon propos. En effet si ce procédé a pour avantage de nous rapprocher du personnage que l'on suit en nous imposant la même "temporalité" que celle qu'il subi, et bien il nous impose aussi cette temporalité. Ainsi quand un personnage s'emmerde à marcher dans des couloirs, on s'emmerde avec lui. L'alternative à cela est "simple" et nous est données dans les Fils de l'Homme : en mettre le plus possible à l'écran et nous plonger dans une situation d'urgence. Encore une fois l'efficacité est indéniable sauf que tenir sur un tels rythme pendant deux heures... ce serait à la limite de l'ingérable aussi bien techniquement que pour le spectateur. Et là vient le génie de Birdman qui nous prouve qu'avec un montage habile où l'on mêle des moments incisifs avec d'autres plus posés, le tout associé à des ellipses temporelles particulièrement bien pensées; et bien on peut aboutir à un juste dosage dans la construction rythmique d'un film avec ce type de procédé de réalisation.
Maintenant un mot sur les acteurs, qui sont à mon sens l'autre grand point fort de ce long métrage. Ils sont tous sans exception aucune, parfaits. Michael Keaton est évidemment la grande "attraction" de l'ensemble et c'est lui qui porte principalement le film. Il faut dire que son choix parait être l'évidence même, lui qui interpréta Batman dans les années 80/90 avant de quasiment disparaitre... On en revient avec cette idée de film brouillant les frontières entre réalité et cinéma grâce à ce rapport quasi méta. Mais il ne faut pas non plus oublier le boulot des autres interprètes. Edward Norton incarne le rôle de l'acteur Mike Sheaner et son personnage est à lui seul le parfait exemple des qualités d'écriture de ce Birdman. En effet, Sheaner représente l'exact opposé de ce qu'est Riggan Thomson et je vous laisse découvrir comment. On saluera Zach Galifianakis qui enfin nous sort de son rôle d'ingénu bedonnant, barbu, loufoque et enfantin qui lui collait à la peau depuis Very Bad Trip. Bordel que ça fait du bien de voir cet acteur dévoiler une autre facette et il faut reconnaitre qu'il est très bon. Et enfin... Emma Stone. Si quelqu'un a son 06, je vous prie de me le donner tant je pense être devenu amoureux de cette actrice. Elle est aussi superbe que talentueuse, faisant preuve d'une implication totale dans ses rôles... C'est bien la première fois que je suis envieux d'un mec qui porte le nom d'un chat obèse... Ah et il y a aussi Naomi Watts qui comme à chaque fois offre une prestation électrisante.
"Hâte de voir ce que ce génial Hunter peut dire sur moi..."
Mais ce qui marque le plus avec ce casting c'est que chacun interprète un personnage faisant écho aux propos du film sans que jamais cela ne paraisse forcé. Un propos où certains peuvent émettre quelques réserves, en particulier dans sa critique des milieux artistiques et estimer que finalement Iñarritu fait son Captain Constat, soulignant des évidences bien connues sur ce milieu. Et là je leur donnerai partiellement raison tout en précisant une chose : si il se contente de relever des constats, il n'en demeure pas moins que ces derniers sont assez pertinents et intéressants et qu'en faisant cela au moins on peut offrir au spectateur le droit de réfléchir sur ce qu'il voit. Car finalement Birdman n'impose pas une réflexion qui lui soit propre, puisque l'on peut distancier le propos en partant du principe que celui ci est avant tout tenu par le personnage misanthrope et aigri de Riggan Thomson. Et c'est autant sa principale force que sa principale faiblesse. Certains reprocheront au film de sombrer dans les lieux communs de la critique facile, quand d'autres salueront l'idée que ces critiques renforcent notre compréhension de la psychologie du personnage principal. Personnellement, je me place dans le second camp.
Donc pour conclure, je vous dirais simplement que Birdman est clairement de ces films qu'il faut voir cette année... En étirant au maximum les dimensions de son cadre au point d'en briser les rebords, il révèle toute la dimension tragi-comique de personnages n'étant finalement que les figures pathétiques d'une farce qui s'ignore... mais pour le coup il implique aussi les spectateurs dans cette idée. Il est clair que Birdman ou la surprenante vertu de l'ignorance mérite ses nombreux prix remportés (et aurait dû remporter celui du meilleur montage). Parfait compromis entre un cinéma d'auteur cessant de contempler son nombril et un cinéma grand public cessant de prendre celui ci pour une masse décérébrée; Birdman permet au cinéma de s'exprimer sous son jour le plus flatteur et bordel que ça fait du bien !!!