L'été touche à sa fin, les stations balnéaires se dépeuplent. Bientôt, les journaux télévisés vont traiter en long, en large, de leur sujet préféré : la rentrée des classes ! Bambins de trois ans qui fondent en larmes alors que leurs mères les abandonnent à leur première journée d'école, employés d'Auchan expliquant que la semaine va être intense, sur fond de cartables Minnie et d'agendas Angry Birds, bécheuses de CM1 arborant fièrement leur cahier de vacances noirci jusqu'à la dernière ligne... Tous les ans, c'est la même rengaine, on n'en peut plus, et pourtant on verra encore, sur France 2, un journaliste stagiaire terminer son reportage par un petit trait d'humour, du genre : "les plus jeunes, en tout cas, sont pressés de retrouver la cour de récré", tout en filmant trois gamins qui vont faire semblant de se précipiter vers la grille du collège en piaillant. Laurent Delahousse va alors regarder s'achever le magnéto avec un petit sourire attendri, puis l'instant d'après va retrouver toute la gravité nécessaire pour nous annoncer que le terroriste de la camionnette était, en effet, connu des services de police. Rien que pour éviter ça, je serais d'accord que l'on décrète un rallongement des vacances ; et pour d'autres raisons, bien entendu.
Vous l'aurez compris, j'ai le cafard, et quand j'ai le cafard, rien de tel que le septième art pour me remettre en jambe. J'ai donc décidé d'inaugurer une série d'articles pour revenir sur quatre blockbusters originaux sortis cet été. Par original, j'entends qu'ils n'appartiennent pas à une saga, qu'ils ne sont ni des reboot, ni des spin-off, ni des prequel, ni des blun-storm (cette dernière notion n'existe pas mais j'étais à court d'anglicisme). Puisque l'on peste régulièrement contre le manque d'inspiration d'Hollywood, prenons le temps d'analyser les films qui, malgré des budgets parfois colossaux, ne sont pas rattachés à une énième franchise de studio.
Avant d'évoquer le film de Christopher Nolan, j'aimerais faire un premier bilan de cette "cuvée 2017" des blockbusters estivaux. Un bilan loin d'être exhaustif, car j'ai manqué beaucoup de sorties notables, mais ces quatre films m'ont interpellé pour une raison : ils ont tous une ambition intéressante et un véritable potentiel, mais à l'arrivée, un seul tient - à peu près - ses promesses. Les trois autres sont comme bloqués par des impératifs trop lourds : ils n'osent pas le divertissement pur, mais ils ne veulent pas non plus paraître trop sérieux. Ils sont également tiraillés par un désir d'originalité, mais soit ce désir est refoulé au profit d'un récit ultra-calibré, soit il est mis en avant, surligné, au point d'en devenir un gimmick, et de rendre le film incohérent.
S'il fallait résumer le problème, je dirais qu'aucune scène d'action ne m'a transporté cet été. Pas de climax infernal à la Mad Max, pas de joyeuse frénésie à la Verbinski, pas de tension savamment orchestrée par un Tarantino : en bref, mon rythme cardiaque n'a pas accéléré, cet été, dans les salles obscures. Moi pas content. Mais que l'on ne se méprenne pas : ces films sont honorables, ils sont parsemés de fulgurances, ils sont parfois audacieux... Mais, pour la plupart, ils ne sont "que" bons, alors qu'ils auraient pu être excellents. Voyons donc ce qui, à mon sens, cloche dans le monde des grosses productions.
Toute cette longue introduction pour en venir à : Dunkerque ! Ah, le lillois que je suis ne peut que se réjouir d'un tournage d'une telle envergure dans la région ! Ironie du sort : la dernière destination à laquelle on penserait pour les vacances devient le théâtre du blockbuster le plus populaire au box-office US. Incroyable, n'est-ce pas ? Jusqu'ici, Dunkerque évoquait cette ville pluvieuse où l'on n'accepte de venir que pour le carnaval. D'ailleurs, je n'ai pas pu m'empêcher de rire devant l'air terrifié de Cilian Murphy, quand le plaisancier lui annonce qu'il faut retourner à Dunkerque. J'ai la même réaction quand on me propose un week-end là-bas.
En 1940, donc, l'armée est en déroute, et les Alliés décident d'évacuer les soldats présents sur le territoire français. 400 000 hommes, tentant de gagner le Royaume-Uni, se retrouvent ainsi encerclés à Dunkerque. Tandis que plusieurs divisions tentent de repousser la progression de la Wehrmacht, les soldats embarquent dans les navires, sous les bombardements ennemis. Le film fait le récit de cette retraite périlleuse appelée "Opération Dynamo", du point de vue des différents protagonistes : aviateurs, marins, plaisanciers britanniques venus en renfort, soldats d'infanterie... Les différents destins s'entrecroisent tout au long du film, au rythme d'un montage non-linéaire sur lequel je reviendrai (sans trop en dévoiler).
Pour sa première incursion dans le film de guerre, Nolan a choisi des partis-pris intéressants, à commencer par une économie de dialogues très salutaire. En effet, dans le moment terrible que vivent les protagonistes, et la menace de mort permanente, on imagine mal des monologues à la manière d'Inception ou The Dark Knight : "L'un de ces deux bateaux va exploser, mais quoi qu'il en soit, il faut que nous tentions d'embarquer. C'est à ce prix que le pays gardera la tête haute". Le film n'est pas bavard, personne ne se lance dans un discours patriotique : ce sont juste des hommes qui veulent survivre. C'est un choix de narration qui fonctionne très bien. Cet aspect taiseux, dépouillé, assez inhabituel dans le cinéma de genre, donne l'impression d'être plongé dans les événements. Au bout du compte, on sait peu de choses des personnages ; je serais bien en peine de différencier les trois soldats que l'on suit régulièrement sur les navires. Cela pourrait être un défaut, mais pas dans le contexte du film. En général, les scénaristes choisissent, pour illustrer la grande histoire, d'y mélanger de petites destinées humaines, afin de créer une intrigue classique, avec un début et une fin. C'est le cas, bien sûr, de Titanic. James Cameron aurait pu filmer la catastrophe dans son ensemble, mais il choisit de nous faire suivre deux personnages, avec des enjeux, pour mettre de l'ordre dans le chaos. Nolan fait le choix inverse : il nous plonge dans le chaos de la guerre, sans y ajouter de "colonne vertébrale" romanesque. Je ne dis pas ça pour dénigrer l'écriture classique (vous savez comme j'aime Titanic) mais je trouve la démarche de Nolan audacieuse.
Les acteurs servent parfaitement l'ambiance du film : aucun n'est dans l'excès, tous acceptent finalement leur statut de "second rôle", le premier rôle étant dévolu, si l'on veut, à la guerre elle-même. Aucun ne livre une performance mémorable, mais tous jouent avec sobriété, et s'accommodent de leurs rares répliques, exprimant l'inquiétude par des regards, des postures, des hésitations. Kenneth Branagh, en particulier, marque les esprits dans son rôle de capitaine britannique contemplant, impuissant, la déroute de son armée.
Malheureusement, le film est desservi par une construction temporelle inutilement complexe. Certains trouveront peut-être que cela renforce le sentiment d'immersion ; je pense le contraire. On voit bien que Nolan, en bâtissant son film comme un long montage parallèle, veut à la fois produire un effet de confusion, et obtenir un rythme qui ne retombe jamais. La cadence du film est d'ailleurs scandée par un bruit de montre qui n'est pas sans rappeler la bande-son d'Interstellar. Pourtant, cela dessert le rythme et l'intensité du film. Comme aucune scène ne dure, le film n'atteint jamais de crescendo dramatique. Alors que certaines scènes sont plus essentielles que d'autres, le montage, en roue libre dans la deuxième moitié, met tout à égalité. On se retrouve alors devant un film dont la cadence ne faiblit pas, mais ne prend jamais son envol.
J'ai peut être tort d'attendre un crescendo dans un film qui se veut anti-spectaculaire. Mais que dit ce montage, alors ? Quelle est sa raison d'être ? Il ne raconte rien sur la guerre, à mon sens. Les soldats n'avaient pas une vue d'ensemble de la guerre. Ils étaient soit sur la mer, soit sur la plage, soit dans les airs. En soumettant le spectateur à un zapping, Nolan l'empêche à la fois de vivre la catastrophe à hauteur d'homme, et de profiter des scènes les plus spectaculaires. Quand, pour la cinquième fois, on assiste à une bataille entre les aviateurs, tandis qu'en dessous un navire fait naufrage, j'ai eu l'impression de regarder ces courts-métrages documentaires que l'on diffuse en boucle dans les musées.
J'aime beaucoup le cinéma de Nolan ; après tout, notre blog existerait-il si, à l'origine, nous n'avions pas échangé à propos d'Inception ? Mais j'ai l'impression que, de film en film, Nolan se sent obligé de forcer l'originalité, au risque de perdre toute cohérence narrative. C'est d'autant plus dommage que sa mise en scène est, une fois de plus, impeccable. Filmé en pellicule, Dunkerque est l'occasion de plans aériens magnifiques. J'ai toujours une préférence pour la pellicule ; les couleurs rendent mieux qu'en numérique. C'est bête à dire, mais il y a longtemps que l'on n'avait pas vu, au cinéma, un ciel aussi bleu. (A Dunkerque en plus (désolé)). Ainsi, même quand le montage parallèle m'épuisait, et que la musique d'Hans Zimmer était prise d'élans bizarres (puisqu'à l'écran il ne se passait rien de neuf), j'étais quand même saisi par la splendeur des plans, chose de plus en plus rare dans des blockbusters de cette envergure.
Ainsi se termine le premier volet de ma rétrospective des blockbusters de l'été. Dunkerque a été un moment de cinéma en demi-teinte, parfois prenant, parfois lassant. Entre audace de mise en scène et choix narratifs illogiques, Dunkerque ne démérite pas, mais n'atteint pas les sommets que l'on espérait. Ce n'est que mon avis (subjectif (qui n'engage que moi (personnel))) cela va de soi. A bientôt pour la partie 2 !
Dunkerque - Bande Annonce Officielle (VOST) - Christopher Nolan
Dunkerque - Bande Annonce Officielle - Christopher Nolan. Film d'action spectaculaire, Dunkerque se déroule au cours de la fameuse évacuation des troupes alliées de Dunkerque en mai 1940. Un Fil...