Je fais partie de ces gens étranges qui, avant d'aller voir un film, se documentent au maximum, épiant les avis de la presse et du public, me renseignant sur le style du réalisateur et ses faits d'armes. Mais cette méthode possède quelques limites, notamment la désagréable impression d'avoir déjà vu le film avant même de l'avoir vu (si vous voyez ce que je veux dire). En cette belle journée d'été - gâchée par un temps pluvieux que les métérorologistes appellent "ondées" - j'ai donc décidé d'aller au cinéma les yeux fermés. Enfin, pour l'anecdote, j'ai quand même gardé les yeux ouverts afin d'éviter une collision avec les passants et les poteaux, mais je m'égare. La seule chose que je connaissais du congrès, c'était son synopsis.
Imaginez un futur proche, où les grands acteurs sont scannés par un ordinateur qui enregistre toute leur palette d'émtions. Ainsi, ils n'ont plus le droit de jouer eux-mêmes : leur image est contrôlée par les studios. C'est ce qui arrive à Robin Wright, actrice en déclin qui n'a plus tourné de bon film depuis dix ans. D'abord réticente, elle finit par accepter ce programme. Ce n'est que le début d'une révolution assez effrayante. Vingt ans plus tard, les humains utilisent des drogues ultra-sophistiquées et vivent dans un monde fantasmé où tous les désirs peuvent être accomplis.
Expliqué de cette façon, le résumé semble assez échevelé. Mais il faut reconnaître que le film l'est autant, voire plus. La première moitié est, de très loin, la meilleure du film. Dès les premières minutes, le style insolite d'Ari Folman se déploie complètement. Robin Wright joue son propre rôle, l'occasion de multiplier les scènes d'auto-dérision, toutes plus jouissives les unes que les autres. Voir un producteur expliquer à Robin Wright qu'elle a fait des mauvais choix de carrières, c'est franchement incongru. Quand, en plus, le producteur explique que son personnage virtuel devra jouer dans des films sur l'holocauste pour remporter des prix, la scène devient drôlissime et satirique.
Mais le réalisateur ne veut pas faire de cette histoire une comédie caustique. C'est l'émotion qui traverse la première moitié, une émotion folle qui atteint des sommets quand l'actrice doit passer d'une émotion à l'autre, enfermée dans une immense bulle lumineuse. Le hangar aménagé dans lequel habite la famille Wright est aussi une merveille, avec les lumières des avions sur le tarmac en arrière-plan. Oui, cette partie est fabuleuse, et très poétique.
La deuxième moitié se situe donc vingt ans plus tard. Robin Wright assiste à un congrès de la MIRAMOUNT, en tant qu'icône de cette révolution technologique. Elle découvre que le studio veut aller beaucoup plus loin dans l'univers virtuel. Ils ont inventé une drogue qui permet de devenir un personnage animé, et d'évoluer dans un monde idéal, où tous les rêves se réalisent en un simple claquement de doigt. Cette seconde moitié, en images animées, ne convainc pas. Pourtant, Ari Folman avait prouvé qu'il avait un don pour l'animation dans son précédent long-métrage, Valse avec Bachir. Mais dans Le Congrès, cette animation est mal utilisée. Il faut dire que les deux acteurs principaux (Robin Wright et Harvey Keitel) sont lumineux : pourquoi les remplacer par des personnages animés au milieu du film ?
C'est exactement ce que je me suis dit en mon for intérieur, après une heure et quart de projection : JE VEUX VOIR ROBIN WRIGHT ! Pour la première fois, on lui confie un rôle où elle peut exprimer tout son talent : pourquoi tout faire foirer ? Même si la fin est sublime, on ne peut que déplorer cette heure animée où le film se perd dans un gloubi-glouba échevelé.
Et pourtant : on ressort du film globalement satisfait. Grâce à sa liberté de ton, d'abord, mais surtout parce que c'est une dénonciation très poussée de la dématérialisation. Les I-Pad, les portables, les réseaux sociaux, le cinéma de synthèse : cette maladie de l'image qui règle le monde depuis une dizaine d'années. Dans ses meilleurs moments, Le congrès rappelle ce côté S-F philosophique des films de Andrew Niccol (Gattaca, sImOnE). En l'an 2035, les gens pourront être Robin Wright, pourront boire Robin Wright, manger Robin Wright. Voilà le véritable intérêt de ce film : montrer à quel point le progrès sert de plus en plus à satisfaire les désirs égoïstes des individus, jusqu'à couper le vrai lien humain. C'est d'ailleurs ce que représente les dernières minutes du film, tragiques et bouleversantes : l'histoire d'une mère qui cherche son fils dans un monde où le lien social n'existe plus, où tout le monde vit dans son propre univers.
EN BREF
Je ne peux pas dire que c'est un film complètement réussi, car ce n'est pas le cas. A une première moitié fascinante succède une seconde partie très confuse. Mais je préfère cent fois les films comme le congrès, libres, palpitants, insolites, aux comédies balisées qui culminent chaque année au box-office. Qu'importe les maladresses, ce qui compte, c'est l'amour du cinéma que ce film transmet, ou plus précisément la crainte d'un cinéma (et d'un monde) aux émotions factices.
Note : 3.5/5