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The Temple Of Whiskers

The Temple Of Whiskers

THE TEMPLE OF WHISKERS est un blog consacré au 7ème art, fondé le 3 mai 2012. Il est l'œuvre de 6 personnes (William, Vivien, Lelya, Yoyo, Hunter Arrow et mr-edward), qui se sont rencontrés via le site internet Allociné, plus précisément sur le forum du film Inception. L'objectif étant simple : vous faire partager leur amour du cinéma.


Ma Loute, la critique (de ce film génial)

Publié par Yoyo114 sur 16 Mai 2016, 08:45am

Catégories : #Sorties Ciné

Ma Loute, la critique (de ce film génial)

La mode était aux collants, ces derniers temps, avec Captain America, Batman V. Superman et consorts. Pendant que le pauvre Yoyo languissait d'un petit film d'auteur à se mettre sous la dent. Et là, miracle : Cannes arrive ! Alleluia, l'inceste, l'euthanasie, les petits secrets familiaux, la drogue, la maladie, le Mexique... Cannes est de retour ! 

 

Bon, plaisanterie mise à part, l'arrivée du festival, c'est l'occasion d'un petit panorama du cinéma mondial. C'est un peu une brocante... beaucoup de babioles, mais au milieu de tout ça, on peut dénicher la perle rare. Et, ironie du sort, les vrais bijoux sont souvent ceux qui n'obtiennent pas de récompenses. Voire même qui ne sont pas en sélection officielle. C'est pour ça qu'il y a un malentendu autour de Cannes, je pense. Le jury met souvent en lumière des films Cannois jusqu'à la caricature, alors qu'il y a souvent des merveilles dans l'ombre (Mud ?). Puis on peut aussi trouver des blockbusters déments (Mad Max n'était-il pas en ouverture ?), alors, oui, la saison Cannoise me réjouit. Mais il faut savoir où regarder. 

 

Un jour, je verrai un film de Godard. But not yet, not yet...

 

Le nordiste Bruno Dumont est, d'ailleurs, un cinéaste assez inclassable. Habitué à réaliser des films austères et d'une grande sécheresse (L'humanité, La vie de Jésus, Hors Satan), il a négocié un virage à 180 degrés il y a deux ans avec P'tit Quinquin, une comédie policière diffusée en quatre épisodes sur Arte. Passant sans transition du drame minimaliste à l'humour burlesque et déjanté, Bruno Dumont a accompli  une mue vers un cinéma plus grand public et réjouissant, tout en gardant le même univers et les mêmes thèmes de prédilection. P'tit Quinquin, j'avais trouvé ça assez inégal, mais en tout cas beaucoup plus drôle et culotté que ce à quoi la télé nous a habitué. J'attendais donc avec impatience de voir le même humour burlesque, mais ramené cette fois à la durée d'un long-métrage classique. 

 

Qu'est-ce que c'est, Ma Loute ? 

Ma Loute se passe en 1910, dans la baie de Slack (Nord de la France), où la famille Van Peteghem, une famille de riches industriels (légèrement) dégénérée, prend ses quartiers d'été dans une villa excentrique, le Typhonium. Sur la même bande de sable vivent les Brufort, une famille de pêcheurs frustes, et cannibales à leurs heures perdues. Ces deux mondes que tout oppose vont se rencontrer de manière fracassante, quand Ma Loute, l'ainé des Brufort, tombe amoureux de Billie, l'enfant androgyne des Van Peteghem. Pendant ce temps, le policier Machin et son adjoint Malfoy mènent l'enquête sur des disparitions inquiétantes dans la baie. 

 

Et ça donne quoi ? 

Vous voulez vraiment savoir ? Je vais vous dire (A vrai dire, tout est dans le titre de ma critique). Ce film est une tuerie, un truc complètement barré, une météore inouie dans le ciel du cinéma français. En fait, on se pince pour y croire. Quoi ? On peut faire une comédie sans petits bourgeois parisiens avec des problèmes de couple ? Quoi ? On peut prendre des acteurs amateurs et les faire jouer à merveille, tout en laissant place aux hésitations, à l'improvisation ? Quoi ? Binoche peut jouer une vieille folle défigurée, Luchini peut laisser de côté son rôle d'élégant érudit et devenir un cafard bossu et amorphe ? Quoi ? L'amour par un simple regard, une simple caresse, ça existe encore au cinéma ? Si à toutes ces questions, et à plein d'autres, on s'est habitués à répondre à la négative, Ma Loute vient nous rappeler avec fracas que tout est possible sur un écran, à condition d'être prêt à oser. 

 

En fait, Ma Loute pose un gros problème au critique que je suis, parce qu'il sort tellement des frontières qu'on ne peut pas lui appliquer une grille de lecture classique. C'est comme une nouvelle planète. D'ailleurs, on pourrait se demander si ces personnages ne sont pas tous des extraterrestres, des martiens paumés après un atterrissage forcé sur les plages du Nord. En fait, le film a des équivalents, mais pas contemporains. Le film que je connais qui s'en rapproche le plus est sans doute Les Vacances de Monsieur Hulot, de Jacques Tati. Parce que le comique est essentiellement visuel, basé sur des chutes, des mécaniques, des bruitages. Ensuite, il faut aller du côté de la BD : Hergé et Goscinny, notamment. Ce qui donne une première idée de l'orginialité de Ma Loute. Le film est basé en partie sur un comique purement physique et cartoonesque qui n'existe (presque) plus dans le cinéma moderne. De quoi déranger nos habitudes de spectateur à une époque où le comique est essentiellement un comique de situation et de boulevard. Et ce n'est pas un reproche ; simplement, ça fait du bien de voir autre chose, de changer d'air. 

 

D'autant plus que Bruno Dumont s'essaye à une très large palette d'effets, allant de l'humour horrifico-gore à la charge mordante contre la bourgeoisie. Et pour cela, il s'est entouré d'une brochette d'acteurs très variée : d'une part, des acteurs amateurs dont c'est le premier rôle, et d'autre part, la bourgeoisie du cinéma français (Binoche, Luchini, Bruni Tedeschi) qui campent, comme par hasard, les bourgeois fin de race Van Peteghem. Luchini joue le père de famille, bossu, complètement à la ramasse, errant dans le jardin du Typhonium en bafouillant des tirades pompeuses. Valéria Bruni Tedeschi est réjouissante en mère de famille corsetée et un peu coincée. Quant à Binoche, la cousine, elle oscille entre une joie de vivre exagérée et un désespoir absolu.

 

On aurait pu attendre d'un auteur sérieux comme Dumont qu'il les fasse jouer avec subtilité. Mais non. Il décide de pousser le curseur au maximum. L'outrance absolue. Dans leur rôle, Tedeschi et Luchini en font donc quatre tonnes, et ça fait vraiment... vraiment... beaucoup de bien ! Quant à Binoche, je crois que jamais je n'ai vu une actrice casser son image d'égérie avec autant de courage et de plaisir. A la fin, désespérée par sa condition de fille incestueuse, elle sombre dans la folie ab-so-lue. Attaquée par les cannibales, défigurée, un oeil fermé, un bandage autour du visage, elle nous sert un festival de grimaces, dans un lâcher-prise absolu. Qu'on s'imagine Natalie Portman faire du De Funès ! Un truc interdit, impossible. Mais Binoche le fait. Alors, certes, parfois leur jeu est un peu poussif. Mais encore une fois, qu'attend-on du cinéma ? Quelque chose de propret et réchauffé comme il faut ? Ou de l'audace, au risque d'en faire un peu trop ? Pour moi, le camp est vite choisi. 

 

On pourrait reprocher à Dumont de faire n'importe quoi s'il n'était pas un cinéaste, un vrai. Heureusement, il suffit de regarder le film quelques secondes pour comprendre que le bonhomme n'est pas un manche, comme dirait mon confrère Hunter. On a rarement vu les plages du Nord aussi bien filmées. C'est simple, on dirait des tableaux impressionnistes. C'est bête à dire, mais avez-vous vu récemment une comédie filmée de main de maître ? Avec un travail sur le son, le cadre, la lumière, le montage ? Je veux dire, autre chose que du théâtre filmé ? Moi, ça faisait très... très longtemps. La façon dont Dumont filme les personnages évoluer dans un décor vaseux, mais majestueux, c'est déjà en soi la marque d'un immense cinéaste pas assez reconnu. 

 

Le film n'est pas que comique, d'ailleurs. L'histoire d'amour fugace entre Ma Loute est Billie est l'occasion d'envolées poétiques assez déchirantes. Les deux acteurs sont formidables. L'intensité de leur regard dit tout. Le film parle aussi de ce que nous sommes. La part de noirceur et de beauté en chacun de nous. Le patriarche "L'Eternel" de la famille Brufort est un cannibale, mais il brave la tempête à la recherche de son fils aîné. Ma Loute est très sauvage mais il est capable d'amour fou. Seuls les bourgeois semblent être complètement barjo. Dumont aurait dû, sans doute, chercher davantage la part d'humanité en eux pour équilibrer son film. Pour finir sur les acteurs, évoquons Didier Desprès, interprète de l'inspecteur Machin, un acteur non-professionnel au phrasé bin d'chez nous, mais qui n'a rien à envier aux stars ! 

Voilà, pour ma part, ce qu'est Ma Loute : un truc qui chamboule nos habitudes de spectateur. Un truc vivant. Un truc qui a de la saveur. Une réussite presque totale (le film aurait pu être un peu raccourci), mais qui s'aventure avec plaisir dans des registres inhabituels !

 

Et si j'ai ressenti une urgence inhabituelle à pondre ma critique, c'est en réponse à l'accueil glacial que reçoit le film, à la fois sur la Croisette et dans le Nord. Disons, plutôt, que quelques voix s'indignent et qu'Internet amplifie un peu l'ensemble. Alors, je vous vois venir... On peut ne pas aimer ! Chacun est sensible, ou non, à une forme d'humour. Tout film peut et doit être critiqué. Par exemple : La vie d'Adèle. C'est une proposition de cinéma très singulière, mais j'accroche pas. C'est pas ce que j'attends du cinéma. Pour différentes raisons que j'ai évoquées dans ma critique de l'époque. Point barre. Ce qui me choque, en revanche, c'est qu'une association ait pu, en France, en 2016, annuler le visa d'exploitation de ce film, ce qui revient peu ou prou à de la censure.

 

J'accepte et j'aime le débat. En revanche, je ne supporte pas le moralisme. Je n'aime pas qu'on me dise quel film est honorable et quel film est honteux. Or, Ma Loute est en ce moment controversé car il présente soi-disant une vision du Nord fausse et caricaturale. J'ai envie de dire aux rageux qu'en disant ça, ils jouent sans le vouloir à Capitaine Constat. Bien vu, effectivement, la vision du Nord dans ce film est fausse et caricaturale. On appelle ça : une farce. Comme l'a dit Dumont dans ses interviews, il y a dans le Nord une tradition carnavalesque, de déguisement, d'outrance. En reprenant les codes de la farce, Dumont, au contraire, rend un hommage au Nord. En mettant en lumière des "gueules", des acteurs inconnus, tous merveilleux, il met en valeur sa région. En filmant la baie comme un décor fantastique, il la dévoile dans son étourdissante beauté. C'est de la fiction. C'est du mythe. C'est beau. 

 

Un autre procès d'intention qui me choque encore plus. J'ai lu dans plusieurs critiques que le casting amateur semble avoir été composé en choisissant les gueules es plus moches possibles. Comment peut-on dire des conneries pareilles ? Ma Loute est beau. Machin est beau. Ils sont juste hors des canons que l'on a l'habitude de voir sur grand écran. Autre procès d'intention plus courant encore : Dumont n'aime pas les gens. Encore une fois, il faut s'être trop habitué à un cinéma édulcoré pour dire des choses pareilles. Aimer les gens, ça n'est pas faire un film avec une jolie morale et un happy-end à la fin. Aimer les gens, c'est les filmer en plan fixe pendant trente secondes et leur laisser le temps d'exister. Aimer les gens, c'est filmer un amour naissant entre deux amoureux par un simple échange de regards. C'est filmer un homme / femme entrer dans l'eau, au crépuscule, pour y trouver un peu de liberté...

 

A un moment dans le film, Luchini dit, à propos de la vue de la baie depuis le Typhonium "à force de la voir, on ne la voit plus". Je pense que c'est pareil au cinéma. A force de voir des films, les gens ne voient plus ce qui se passe à l'écran. Et quand on les bouscule, ils crient au scandale. Ce qui choque certaines personnes dans Ma Loute, je pense, c'est l'incertitude morale. Jamais Dumont ne nous dit quoi penser. On ne peut pas dire : celui-là il est gentil, celui-là non. De même que le sexe de Billie reste indéterminé, c'est au spectateur de faire des choix. Ou de ne pas en faire, d'ailleurs. On peut aussi bien se laisser porter par ce conte mi-drôle, mi-tragique en se disant, "c'est la vie". 

Nous arrivons à la conclusion de cette critique qui aurait pu tout aussi bien être rangée dans notre section "La parole à la défense" tant les (petites) polémiques autour de Dumont m'ont irrité. Encore une fois, Ma Loute est typiquement le genre de film qui passe... ou qui casse. Je comprends donc tout à fait quelqu'un qui n'entre pas dans le délire. Mais si, comme moi, vous aimez essayer des films qui nous emmènent loin, loin, hors des rails confortables du cinéma, si l'idée d'une confrontation entre une famille bourgeoise proprette et des pêcheurs cannibales (La Colline a des yeux ?) vous met l'eau à la bouche, alors jetez vous sur Ma Loute ! Sur ce, bonne journée, amis cinéphiles de tous poils ! 

 

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H
Dis moi, en dehors du blog, tu fais des études pour devenir VRP ? Non parce que là le film, tu me l'as bien vendu et tu m'as foutu la hype.
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Y
Haha pas loin je suis en stage de marketing. Mais pour le blog je redeviens le yoyo qui aime et déteste avec la même fougue. En l'occurrence, j'ai adoré. Alors, il y a des défauts que je n'ai pas évoqué. Peut-être que si la critique était moins tranchée, j'aurais été plus impartial, mais là j'ai senti un besoin urgent de défendre ce petit bijou. Après, normal que tout le monde n'aime pas, c'est burlesque, c'est volontairement exagéré, volontairement surjoué, du coup ça passe ou ça casse. Mais je sais que les membres du blog sont ouverts aux films singuliers, on a beaucoup défendu Tree of Life, Under the Skin et autres "expériences", donc je partage avec vous ce gros coup de coeur.

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