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The Temple Of Whiskers

The Temple Of Whiskers

THE TEMPLE OF WHISKERS est un blog consacré au 7ème art, fondé le 3 mai 2012. Il est l'œuvre de 6 personnes (William, Vivien, Lelya, Yoyo, Hunter Arrow et mr-edward), qui se sont rencontrés via le site internet Allociné, plus précisément sur le forum du film Inception. L'objectif étant simple : vous faire partager leur amour du cinéma.


Rattrapage : Loving, de Jeff Nichols

Publié par yoyo114 sur 21 Janvier 2019, 21:27pm

Catégories : #Dossiers Ciné

Bien que suivant avec intérêt la carrière de Jeff Nichols, j'avais manqué son dernier film en date, Loving, sorti en France en février 2017. En partie parce que les films de ce cinéastes sont encore relativement peu distribués en France. Mais cela ne m'excuse qu'en partie, puisque j'ai à proximité de chez moi des cinémas à la programmation plus que variée. A vrai dire, j'avais peur d'être déçu par ce cinquième long-métrage, qui semblait le prototype même du film à Oscars conçu pour faire pleurer dans les chaumières. La presse, par ailleurs, avait diversement reçu Loving lors de sa diffusion au Festival de Cannes. Pour toutes ces raisons, j'ai raté ma chance en 2017, et je n'ai réparé mon erreur que deux ans plus tard. Car oui, c'était une erreur, et il va falloir ajouter à ma liste de bonnes résolutions (actuellement vide) de me tenir à distance des journaux avant la sortie d'un film.

Loving serait donc académique, sage et ennuyeux ? Eh non, c'est même tout l'inverse. Dans chacun de ses films, Nichols s'inscrit dans un genre précis (la SF, l'aventure, le thriller) et y insuffle son style et ses thèmes de prédilection. Il le fait certes avec modestie, mais avec une inventivité et une inspiration constantes. Loving ne déroge pas à la règle. Nichols s'efface en partie derrière son sujet, mais sa patte demeure intacte : il signe un film splendide qui, l'air de rien, survole presque toute la concurrence. 

 

Le film raconte l'histoire vraie d'un couple mixte : Richard Loving, un blanc, et Mildred Loving, une noire. Le mariage mixte étant interdit en 1958 dans l'état de Virginie, les Loving partent à Washington pour célébrer leur union. Mais à leur retour, ils sont arrêtés par la police, et sommés de quitter l'Etat, sous peine d'être condamnés à un an de prison ferme. Contraints de trouver refuge chez des cousins, les Loving vont entamer une longue bataille juridique afin de pouvoir rentrer chez eux.

C'est une des premières choses qui frappent au visionnage : le couple, tel qu'il est dépeint, n'est pas militant. Leur mariage n'est pas un acte politique destiné à faire abroger la loi. Ils se marient avec la conviction que ça ne gênera personne, parce qu'ils ne sont que de "petites gens". Une fois ostracisés, c'est Mildred, en voyant germer le mouvement des droits civiques, qui envisage de réclamer justice. Mais encore une fois, c'est une démarche pudique, notamment de la part du mari, qui n'aime pas se mettre en avant. D'où peut-être la déception d'une partie du public et de la presse : le film évoque à peine le procès, préférant se concentrer sur le portrait du couple au quotidien. Que d'efforts, d'ailleurs, dans la bande-annonce, pour nous vendre un film édifiant d'après une incroyable histoire vraie... Soit tout ce que le film n'est pas. Ce que montre Nichols, avec une simplicité désarmante, c'est simplement un couple qui s'aime, et qui subsiste malgré la lassitude et les épreuves. A l'avocat qui lui demande s'il a un message à transmettre à la cour suprême, Richard répond, simplement : "dites-leur que j'aime ma femme". Toute l'ambition du film tient dans cette phrase. Opposer la sérénité d'un amour à l'absurdité d'un système. 

Un cinéaste lambda aurait traité l'affaire avec un oeil sur Wikipédia, en insistant sur les "moments forts", en nous servant de longues scènes de tribunal, et en montrant le couple Loving dans ce qu'il a d'exceptionnel. Nichols, au contraire, évacue les scènes de procès, et fait le portrait d'un couple ordinaire, qui se débrouille comme il peut. C'est en tenant l'affaire à distance que le cinéaste touche juste. En découvrant ce couple comme les autres, qui s'aime sans effusions, d'un amour apaisé, silencieux, on saisit la folie de cette loi qui les empêche de rentrer chez eux. Les policiers qui veulent les séparer deviennent des personnages de farce. Pas besoin d'appuyer davantage, de démontrer quoi que ce soit. Le seul fait de filmer ce couple en paix suffit à nous faire ressentir toute l'injustice de l'époque, mieux que ne l'aurait fait un long récit de combat et de procès. 

 

Cette histoire d'amour, Nichols la filme avec un certain classicisme, mais sans renoncer à son style et à sa personnalité de cinéaste. A rebours de la plupart des films américains, il impose un rythme lent, égal, sans pic émotionnel, ni conflit artificiellement inventé pour les besoins du scénario. Il n'y a, par exemple, aucune scène de dispute entre les deux époux. Pour autant, Nichols n'idéalise pas ses personnages. L'usure, la tension entre Richard et Mildred est bien là. Comment pourrait-il en être autrement ? Richard travaille six jours sur sept comme ouvrier ; Mildred élève trois enfants dans une maison exiguë. Cette fatigue, Nichols nous la fait ressentir, en une poignée de plans sobres, qui suggèrent plus qu'ils ne montrent - soit la marque d'un metteur en scène talentueux.

La concision, l'économie de plans, c'est aussi cette ellipse qui nous transporte cinq années plus tard. Trois enfants apparaissent soudain dans le rez-de-chaussée d'une maison inconnue. Cela va presque trop vite. Dans la même scène, Mildred discute avec sa sœur, venue lui rendre visite. Tandis que sa sœur lui donne des nouvelles de ses parents, de la ferme, le regard de Mildred se modifie légèrement, les paroles de la soeur deviennent inaudibles, et en trois secondes, Nichols nous fait partager la nostalgie qui s'empare du personnage. La technique n'est pas nouvelle, mais Jeff Nichols l'applique avec une telle précision que l'on vacille en même temps que Mildred. L'actrice Ruth Negga, parfaite, y est aussi pour quelque chose. Quant à Joel Edgerton, son jeu manque peut-être un peu de nuances, mais son personnage prend tout de même de l'épaisseur au fil du récit. Comme souvent chez Nichols, les personnages masculins se sentent d'abord tenus d'être forts. Puis, peu à peu, ils révèlent leurs failles et leur sensibilité. 

 

Pour conclure, Loving, sous ses dehors académiques, est le portrait sensible et attentif d'un couple uni. Nichols dépouille encore sa mise en scène, mais ne perd pas l'émotion, bien au contraire. Quel plaisir de voir un cinéaste s'affirmer, et poursuivre humblement son oeuvre, tout en faisant preuve d'une sûreté absolue dès qu'il se trouve derrière la caméra. 

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