Regardez comme ils sont mignons tout plein ! Lui, à gauche, avec sa moustache si imposante qu'elle rappelle le titre de notre blog, son air hautain et son petit noeud papillon, on dirait un riche actionnaire de LVMH. Elle, avec son regard pensif, et ses cheveux bien arrangés, qui ne la prendrait pas pour une institutrice de maternelle ? Et lui, avec son air brave, on dirait un ouvrier des années 1930 qui pose pour la photo annuelle du groupe ! On leur donnerait le bon dieu sans confession, et on aurait bien tort, car ils font partie d'une secte qui a fait souffrir des millions de pauvres bambins à travers le monde : ce sont des écrivains classiques !
Qui n'a pas soupiré en apprenant qu'il allait devoir se taper un Zola pour le brevet ? Qui ne s'est pas mangé les cheveux en essayant de retenir les noms de chaque personnage dans un Dostoievski, entre les Dimitri Pulchanov Raskalanovic, les Zocimov, les Zamicov, les Zamietov, les Ivanovna, les Pavlovna, les Petrovna ?? Les écrivains passés à la postérité, avec leurs livres fleuves, ont été le cauchemar des anciens collégiens que nous sommes.
Et pourtant, il y a des écrivains qui valent le détour. Croyez moi ou pas, mais les romanciers du dix-neuvième siècle ne sont pas tous imbuvables ! Il faut juste avoir un peu de maturité pour les savourer, maturité que l'on ne possède pas forcément à treize ans. Cet article s'adresse donc à tous ceux qui sont passés à côté des romans estampillés "chefs d'oeuvre de la littérature mondiale".
Moi-même, j'ai passé de longues années à me réfugier dans la littérature récente et grand public. Mais récemment, lassé de Jean-Christophe Grangé et de ses intrigues qui frisent le grand-guignol (genre un policier fait de la spéléologie avec une congrégation de prêtres qui combattent les satanistes à travers l'europe sous les caves de Cracovie), j'ai décidé de me remettre à la grande littérature. J'ai découvert que certains romans sont effectivement illisibles, tandis que d'autres sont tout à fait accessibles. Je me suis dit : "pourquoi ne pas partager mes expériences ?".
Cette nouvelle série d'articles constitue donc un guide pour tous ceux qui veulent se remettre à bouffer du grand roman, mais qui ont peur de tomber sur des pavés imbuvables.
Aujourd'hui, zoom sur trois livres que j'ai découverts ou redécouverts, avec plus ou moins de bonheur.
Les grands romans viennent du coeur !
Les hauts de Hurlevent, Emily Brontë.
Par ordre du plus ancien au plus récent, c'est donc le célèbre roman d'Emily Brontë qui arrive en premier, publié en 1847. Pour ceux qui ne connaissent pas, le roman raconte l'histoire d'un jeune bohémien recueilli par le patriarche d'une famille écossaise. Ce jeune garçon va subir les brimades des enfants de la famille, jaloux de voir débarquer un nouveau venu (un pauvre, qui plus est). Il va tomber amoureux de Catherine Earnshaw, la fille de son bienfaiteur. Le livre narre leur amour destructeur, entre passion et haine mutuelle, et la deuxième partie du livre se concentre sur la vengeance d'Heathcliff à travers les différentes générations, pour briser les descendants de la famille Earnshaw.
C'est un roman très noir. Vous me direz : tous les romans de l'époque sont noirs. Sauf que celui-ci est tragique au point de choquer les moeurs de l'époque, qui voient dans le roman une peinture presque complaisante de la dépression, du sadisme, et de l'amour insane. Personnellement, j'ai trouvé le roman excellent, d'une modernité assez ahurissante. Si Lars Von Trier avait vécu au 19ème siècle, je pense qu'il aurait écrit un roman comme ça. Pendant quatre cent pages, on assiste à la destruction millimétrée de deux familles, sur une période de trente ans. Heathcliff, sûrement un des plus beaux personnages de la littérature, est tellement pétri de haine qu'il contamine tous ses proches, un par un. Sa vie n'est qu'une chute perpétuelle dans laquelle il entraîne les autres.
Emily Brontë signe là son unique roman, puisqu'elle mourut très jeune de la tuberculose. C'est une véritable énigme. Comment une femme de vingt ans à peine à pu écrire un roman si pertinent sur les rapports humains, avec une telle maturité dans le style ? Hunter, si tu es encore misogyne, lis ce livre et tu verras que les génies féminins existent. Le seul reproche qu'on peut faire à ce livre : trop déprimant, à l'image des cent dernières pages qui achèvent de donner au lecteur des envies de pendaison. Ok, il y a une sorte de happy-end, mais celui-ci sonne un peu faux, comme si l'auteure s'était forcée de finir sur une touche d'optimisme.
Appréciation :
9/10
Pour ce qui est du style, il n'est pas franchement imbuvable. Les dialogues sont parfois très emphatiques, et peuvent surprendre le lecteur d'aujourd'hui. Mais il n'y a pas de longues descriptions de dix pages sur les marmottes. En fait, les descriptions sont très sommaires. Elles accompagnent juste les dialogues qui, eux, sont imposants. Il ne fait que quatre cent pages, et ne s'encombre pas de détails ou de personnages inutiles
Côte d'imbuvabilité
FAIBLE
Madame Bovary, Gustave Flaubert
Un roman français que l'on ne présente plus ! Publié en 1857, ce roman de Gustave Flaubert raconte le destin (tragique, pour changer), d'Emma Bovary, une femme qui rêve du grand amour et qui ne supporte pas l'ennui de son quotidien. Elle cherche à mettre du piment dans sa vie en se trouvant quelques amants, mais jamais elle ne vivra l'épopée dont elle rêvait.
Dans la plupart de ses romans, Flaubert ne s'attache pas à des personnages héroïques, mais plutôt à des gens tristement ordinaires. Cela lui a valu plusieurs détracteurs à son époque, notamment Barbey D'Aurevilly. Son style, derrière une apparence académique, est assez complexe. Dans chaque phrase, il insère le point de vue d'Emma Bovary, tout en montrant au lecteur que ce point de vue est erroné, voire ridicule. Car Emma a beaucoup de fantasmes : elle se fait des illusions sur tout, et c'est au lecteur de démêler ce qui est authentique, et ce qui est déformé par la vision de la protagoniste. Ca peut en amuser certains : autant vous dire que ce n'est pas mon cas. J'ai adoré les cinquante premières pages, puis j'ai finalement trouvé que Flaubert tombait dans son propre piège : à force de sonder l'ennui, il fait un roman affreusement ennuyeux, que je n'ai pas pu lire jusqu'au bout. Si Madame Bovary était un film, il remporterait une palme d'or à Cannes. Flaubert avait inventé l'art chiantisant, qu'il poussa à son paroxysme dans le suivant : l'éducation sentimentale.
Autant vous dire que je suis peu convaincu. Même si depuis la classe de quatrième, j'ai gagné quelques neurones et quelques affinités avec la langue française, je ne suis toujours pas emballé par monsieur Flaubert. Mais j'ai entendu dire que les frères Boukaieff étaient très admiratifs, au point d'avoir adapté au cinéma Madame Bovary, à leur manière : l'histoire d'une marmotte qui s'ennuie et qui décide de grimper sur un platane. Une épopée contemplative de 12h30 sur les tréfonds de l'âme humaine.
Appréciation :
3/10
Même si je n'ai pas aimé, le style est tout à fait supportable pour le lecteur lambda. J'entends par supportable que l'on a pas des phrases archi-longues à la Marcel Proust. Néanmoins, le style est plein de second degré et il faut être très attentif pour capter l'humour de l'auteur, qui est, il faut le dire, assez particulier. Comment vous décrire l'humour de Flaubert ? Disons que c'est quand ce n'est pas drôle et que... ça ne parle pas de saucisse.
Côte d'imbuvabilité
MOYENNE
1984, George Orwell
Je ne sais pas si l'on peut dire que ce roman est un roman classique, puisqu'il est relativement récent. Ce qui est certain, c'est que 1984 est reconnu par le monde entier comme faisant partie des "grands romans". Il fut écrit en 1948, par un homme angoissé par la montée des totalitarismes en Europe. C'est donc l'histoire d'un fonctionnaire, dans un pays où la liberté a disparu et où tout le monde est surveillé, qui décide de renverser l'ordre établi. Mais il ne sait pas à qui faire confiance, et son histoire d'amour avec une femme du parti va tout compliquer.
Difficile de ne pas se laisser emporter par 1984, tellement effrayant, et tellement réaliste. Le style correspond tout à fait à l'ambiance : froid, assez automatique même si l'auteur se permet quelques descriptions assez remarquables. On peut regretter un manque de rythme au milieu du livre, largement compensé par une dernière partie glaçante, qui fait l'effet d'un électrochoc. Le comportement rebelle n'est même plus puni par la mort : les dirigeants changent les opposants. Ils les forcent à penser comme eux, jusqu'à ce que leur rebellion meure et que leur asservissement devienne naturel. 1984 possède une qualité propre aux grands livres : on en ressort avec une terrible impression de vertige.
Appréciation :
8/10
Le style de George Orwell a les défauts de ses qualités. C'est un style froid et sans aucun lyrisme, qui retranscrit parfaitement l'ambiance de cette société totalitaire. Le problème, c'est que le lecteur a parfois du mal à s'attacher à cet univers et à ses personnages, même à ceux qui tentent une révolte. Pour autant, le livre est loin d'être imbuvable : il garde une énergie très moderne, qui plaira aux lecteurs de tous poils.
Côte d'imbuvabilité
FAIBLE
La prochaine fois, qui sait, je trouverais un roman classique vraiment imbuvable. Je vais peut-être me tourner vers Marcel Proust, qui, m'a t-on dit, aime les phrases si longues qu'on en a déjà oublié le début. A bientôt, pauvres diables !